C'est un drôle de tracteur bleu qui tire une longue remorque aux couleurs danoises. Les enfants assis près de nous à l'intérieur sont excités de toutes ces bosses qui jalonnent le chemin jusqu'à la plage. Le ciel est bleu et immense. On guette, on scrute, on cherche derrière les dunes au premier qui les verra. La première que l'on trouve est la mer du Nord, avec des reflets d'un bleu profond. Puis soudain, une langue de terre se dessine et offre à nos yeux la pointe extrème du Danemark où vient de l'Est une autre mer, la Baltique dans des reflets verts et changeants. Lorsque le tracteur s'arrête, restent pour moi, pour les enfants, nos pas les plus proches du pôle, à cette lattitude extrème du pays d'Andersen. La lumière est claire, et deux minces vagues viennent se croiser sous nos pieds. Les enfants rient et crient de joie. Pour moi, tout remonte, sous forme de larmes chaudes qui ruissellent et de sourire un peu béat de tant de beauté. Viennent à moi ces mêmes pas sur le mince cordon de sable il y a six ans, presque jour pour jour. Je sortais là de près de vingt-huit heures de train, et d'enfer. D'une blessure qui dura quatre années. Et je me trouvais là, devant ces mers, belles, qui s'embrassent. A ne plus savoir regarder ailleurs qu'au fil de ces deux vagues l'une contre l'autre, dans leur écume mince comme un fil de dentelle perché sur l'eau. Je retrouvais chacun de ces pas. Avec trois enfants et leurs blonds sourires qui regardent aujourd'hui avec moi, l'un perché sur mes épaules, toutes ses boucles caressées par un vent léger de Scandinavie, les deux grands courant dans l'eau pour s'éclabousser l'un l'autre. Et Anne toujours qui veille et prévient des dangers, des courants, et des orages d'enfance. Moi je reste face au Grand Nord. Je pleure les yeux sur la mer. Heureux de ce que suis. De ce qui m'est donné. A ne rien espérer d'autre que d'être là, dans six ans encore, pour retrouver leurs courses vives parmi les embruns du nord, et Anne près de moi qui veille et me tient la main.
