Ca commence sous les étoiles. Celles de la cour de l'Archevêché, parmi les gradins confortables du festival lyrique d'Aix en Provence. J'ai une cravate beige, et Anne un ensemble noir de la plus grande élégance. On trouve deux places qui n'attendent que nous au deuxième rang. Dans la fosse, les musiciens accordent leurs cordes et présentent à Hendel des instruments énigmatiques. Nous, on regarde chaque ombre qui passe parmi les premiers nuages qui glissent entre les branches d'un arbre et les façades hautes. Il y a la voix d'un comédien. Il dit Ce soir nous jouons. Il dit le satut des intermittents. Il dit la lutte. Il est applaudi à tout rompre. Et puis les premières notes s'élèvent et semblent entrer directement dans mon ventre pour sortir par mes yeux. Au plateau, Ariodante aime sa princesse, Ginevra la belle aux cheveux d'or. Mais le diable vient et s'appelle Polinesso. Et tombent ensemble l'amour et la lumière. Ariodante écroule de toute son âme son malheur à nos pieds, et je n'ai pas assez d'yeux pour pleurer avec lui. Le ciel même se transforme en pluie, interromp le deuxième acte, et nous conduit à nous mettre à l'abri dans un café où les belges au football sont en train d'éliminer les Etats-Unis. On revient sous le grand arbre, entre les façades de pierre jaune, et c'est Ginevra qui effondre sa plainte entre les violons et une guitare baroque. Plus une étoile ne sait supporter le drame sans s'épancher à son tour, et la pluie revient dans une nuit plus noire que toutes nos lumières. Nous sortons sans le dernier acte, et je dis à Anne que j'ai le sentiment de vivre là l'un des plus beaux moment de ma vie. Le parking est un peu plus haut, derrière la cathédrale. Les enfants sont avec Laura qui ne sait pas encore qu'elle vient d'avoir son bac. Et je ne sais rien dire d'autre à cette heure sinon que Hendel est un héros.
